Ce n’est pas une information ordinaire. C’est la Grâce en personne, qui foudroie le plateau de BFM TV en fin de matinée, quand se confirme la nouvelle : dans quelques heures, Emmanuel Macron va démissionner du gouvernement. Ils sont là, le trio des permanents, Julien Arnaud, Laurent Neumann, Ruth Elkrief, les incrustés du soir et du matin, et c’est comme si instantanément ils se mettaient en marche eux aussi, portant vers la pauvre étable l’or, la myrrhe et l’encens. Extatique, Elkrief raconte une anecdote : voici quelques jours, elle faisait quelques pas avec Lui, attendant banalement le début d’une interview. Et là, miracle : l’ancien banquier d’affaires s’est mis à serrer les mains des simples mortels. Toutes les mains. Jusqu’à la dernière. Et ça m’a rappelé quelqu’un, raconte la journaliste : Jacques Chirac. Fascination, devant l’écran, d’assister à la naissance d’une bulle. Comme elle va gonfler et gonfler encore, dans les semaines qui viennent, scintillante, irrésistible. Vous imaginez ? Il serre des mains. Il rencontre des vraies gens. Et il semble aimer ça. Il faut les voir, tous, extatiques, incrédules, perplexes, autour du berceau, formant attroupement entre le bœuf et l’âne gris. Mais de qui célèbrent-ils la naissance ? Le messie Macron concentre toutes les qualités. Il est moderne. Il est sympathique. Il veut réformer, mais avec le sourire, pas comme ces grincheux de Valls ou de Juppé, pas comme cet hystérique de Sarkozy, pas comme ce pisse-froid de Le Maire, pas comme ce mollusque de Hollande.
D’autant que Macron fait plus fort encore que Chirac. Quelques jours plus tard, à la foire de Châlons-en-Champagne où s’est rendu le démissionnaire pour s’immerger dans la population des agriculteurs en détresse, la même chaîne a isolé une séquence. Une agricultrice l’aborde. C’est la figure même de la détresse. Elle est à trois ans de la retraite. Elle n’y arrive plus. «Que pouvez-vous faire ?» demande Macron. Rien. Sinon, souffle la dame, «se passer la corde au cou». Macron reste sans voix. Simplement, il pose sa main sur le bras de la désemparée. Son Sauveur la touche : c’est trop d’émotion pour elle. Surgissent les larmes. «Aidez-nous.» Pour toute réponse, il lui claque deux bises. «Je n’ai pas de réponse à la situation de cette dame, confie-t-il quelques mètres plus loin aux nombreux journalistes présents. Ce qui est dur, c’est ce que vit cette dame. La facilité, ce serait de lui donner une réponse ou de lui faire une promesse que je ne pourrai pas tenir. Faire de la politique, ce n’est pas avoir une solution à tout. C’est aussi prendre tout ce qui se passe dans sa complexité et essayer d’apporter des réponses structurées. Aujourd’hui, je n’en ai pas pour ce qu’elle vit.»
Autrement dit, il est paumé, comme Jospin face aux ouvriers de LU, voici quelques siècles, dans une autre séquence d’anthologie. Mais qui lui en tiendrait rigueur ? Au contraire, BFM salue sa «franchise».
C’est la Bonne Nouvelle que les journalistes n’attendaient plus : la Réforme, leur Réforme, enfin ce que François Lenglet, Dominique Seux et les autres appellent la Réforme, c’est-à-dire le recul de l’âge de la retraite, la suppression des 35 heures, l’ouverture des magasins le dimanche, la suppression des «situations acquises», la révision du statut des fonctionnaires, la précarité généralisée, bref la démolition générale du code du travail, sera souriante. Et avec les dents du bonheur en cadeau bonus. Il y avait quelque chose d’invendable, un grumeau qui ne passait pas, dans le discours gattazien habituel. L’ubérisation heureuse, voilà le rêve à portée de mains. C’est vrai. Pourquoi un licenciement économique devrait-il être cruel ? Pourquoi la mise à mort du CDI ne pourrait-elle pas se faire dans le respect et la tendresse ? Pourquoi une faillite devrait-elle être amère ? Pourquoi tout le monde ne serait-il pas milliardaire ? Pourquoi Pôle emploi ne se reconvertirait-il pas en Pôle bisous ?
Daniel Schneidermann