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vendredi 4 décembre 2015

Etat d'urgence contre les tas d'urgence

pontsde-paris

Par Patrick Le Hyaric
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Dimanche prochain, alors que nos pensées restent arrimées au souvenir de ces vies volées dans la fleur de l’âge par les assassins fanatiques et que nos larmes peinent à sécher, les citoyennes et citoyens sont appelés aux urnes pour élire leurs représentants dans les conseils régionaux.

Tout naturellement, ces élections seront marquées par l’abjection obscurantiste qui a frappé au cœur de notre société. Loin des enjeux régionaux dont il est question, beaucoup d’électeurs se décideront avec en tête les images d’horreur des attentats qui ont ensanglanté Paris et Saint-Denis. Sans doute aussi, plus qu’il y a quelques semaines, avec ces images de guerre qui ensanglantent chaque jour un peu plus le Proche et le Moyen-Orient.

Avoir maintenu le scrutin régional est en soi un acte de résistance démocratique. Un acte de refus de céder aux injonctions totalitaires d’écervelés qui utilisent un dieu et le salissent alors qu’ils n’en connaissent rien.

Le besoin de sécurité, largement exprimé par nos concitoyennes et concitoyens, ne doit pas trouver les chemins du ressentiment et de la division. C’est aujourd’hui notre tâche la plus impérieuse. Laisser croire à une progression de l’extrême droite dans les urnes, ou banaliser de possibles gains de régions, comme cela avait déjà été fait à l’occasion des élections départementales, reviendrait à répandre le feu des déchirures de la société, en donnant raison aux fondamentalismes djihadistes qui n’agissent que pour détruire ce qu’il y a de meilleur dans notre République pourtant encore inaccomplie.

La sécurité dépend non pas de l’affaiblissement de l’État ou de sa destruction sous les coups de boutoir d’absurdes critères comptables décidés dans l’obscurité de cabinets bruxellois et appliqués ici avec zèle. Bien au contraire, il faudra peser dès dimanche pour les listes porteuses, bien avant la déflagration du 13 novembre, de l’exigence de services publics disposant des moyens nécessaires, humanisés, démocratisés, dans l’éducation, la culture, la santé, la police, la justice ou les douanes. Elles se présentent dans des configurations différentes, avec toutes les composantes du Front de gauche, parfois élargies aux écologistes. Toutes partagent cette exigence commune. On ne peut en dire autant de celles des formations adeptes de l’austérité, qui, hier ou aujourd’hui, ont fait ou font le contraire. Elles mentent à nos concitoyens en leur promettant monts et merveilles avant l’élection. L’indispensable sécurité d’une nation ou d’un peuple ne peut dépendre de mesures exclusivement sécuritaires. Sans pacte social d’égalité et de solidarité, sans pacte éducatif et culturel, sans soutien aux collectivités locales et régionales, le pacte de sécurité sera une chimère. Sans société soudée autour d’institutions sociales, d’une éducation nationale puissante, de services publics modernes et performants, le délitement social prendra le dessus sur toute autre considération. Sans travail émancipé des logiques financières, sans permettre l’accès à une activité intéressante, correctement rémunérée, combinée avec l’accès permanent à la formation et à la culture, pour chacune et chacun, la désespérance s’affermira dans les territoires les plus fragiles de notre République. Sans l’indispensable respiration démocratique de la société et l’essor de ses libertés individuelles et collectives, il serait vain de prétendre atteindre ces objectifs. C’est dire que l’état d’urgence ne saurait devenir permanent et encore moins s’inscrire dans la Constitution. Pendant trois mois, il réclame vigilance et contrôle d’autant plus qu’il est exceptionnel et doit le demeurer. Sinon, ce sont les assassins de Paris et de Saint-Denis qui auraient obtenu ce qu’ils recherchent.

J’ai pu le vérifier il y a quelques jours aux États-Unis lors d’un déplacement de soutien à la campagne en faveur de Mumia Abu-Jamal. J’y ai constaté l’impasse d’un modèle «ultrasécuritaire» qui produit une « insécurité permanente ». D’un côté, l’argent roi est la valeur suprême. Pour le défendre, la violence personnelle est glorifiée avec les armes qui l’accompagnent. De l’autre, s’exerce la violence policière, souvent raciste, avec l’emprisonnement massif de sa population métissée et la plus pauvre. À écouter les discours de certains dans la campagne des élections régionales, on peut légitimement se poser la question de savoir si ce n’est pas ce modèle qu’ils veulent importer chez nous.

En s’abstenant, sans en avoir bien sûr l’intention, on les renforce. Nous ne pouvons que conseiller que chacune, chacun se pose quelques questions simples avant de mettre son bulletin dans l’urne.

Va-t-on mettre l’argent au service des transports collectifs et du rail, ou choisir de laisser se développer les moyens de circulation les plus polluants, alors même que 195 pays se réunissent à Paris pour tenter de répondre au défi climatique ?

Va-t-on promouvoir des logiques d’égalité ou exacerber les différences entre les territoires ?

Va-t-on continuer à déverser des sommes phénoménales d’argent public dans le puits sans fond du capital financiarisé ou s’engager dans une vraie politique valorisant le travail et la création d’emploi ?

Va-t-on s’engager dans la promotion d’une création culturelle audacieuse et variée ou assécher la diversité et la vitalité culturelle de notre pays ?

Va-t-on défendre et promouvoir les services publics comme identité d’une France démocratique et rassemblée ? Ils furent l’honneur de notre pays la nuit du 13 novembre, alors pourquoi continuer à les asphyxier par d’inhumaines logiques comptables imposées par les dogmes néolibéraux venus de Bruxelles ?

Va-t-on enfin faire de la question brûlante de l’égalité le pivot des politiques publiques à l’échelle régionale ?

Utiliser son bulletin de vote dimanche prochain sera un acte de résistance républicaine face aux diviseurs, aux assassins, à leur idéologie lugubre, mais aussi face à l’extrême droite qui rêve de s’affirmer encore plus sur les cendres d’une République que des politiques d’austérité défigurent. La proclamation du «vivre ensemble» ne doit plus être le paravent de la gestion des inégalités qui se creusent sans cesse au seul profit des puissances d’argent.

Acte de résistance mais aussi d’espérance alors que tout semble échapper à l’intervention populaire. N’est-ce pas le moment de dire avec force : «Nous sommes là et il faudra compter avec nous» ? De le faire rassemblés pour affirmer qu’une autre issue est possible que celle désespérante et dangereuse offerte à notre jeunesse ? D’ici dimanche, il nous semble que cela vaut le coup d’y réfléchir.

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