Le « poison allemand » est celui que la politique du gouvernement Merkel diffuse dans l'économie de ses voisins. Un poison asphyxiant qui condamne ceux-ci à la misère, au chaos social et politique. Dans ce pamphlet, Jean-Luc Mélenchon appelle à assumer une confrontation franche des points de vue avec l'Allemagne actuelle pour stopper la marche au chaos en cours.
Ceci est un pamphlet. Mon but est de percer le blindage des béatitudes de tant de commentateurs fascinés par l'Allemagne.
Je prends la plume pour alerter : un monstre est né sous yeux, l'enfant de la finance dérégulée et d'un pays qui s'est voué à elle, nécrosé par le vieillissement accéléré de sa population. L'un ne serait rien sans l'autre.
Cette alliance est en train de remodeler l'Europe à sa main. Dès lors, l'Allemagne est, de nouveau, un danger. Le modèle qu'elle impose est, une fois de plus, un recul pour notre civilisation.
Ce poison allemand est l'opium des riches. Changer la donne politique et faire changer l'Allemagne sont devenus une seule et même chose. Il faut le faire avant qu'il ne soit trop tard.
Voici ce qu'en pense Oskar Lafontaine, figure du parti de gauche allemand Die Linke :
Jean-Luc Mélenchon, le fondateur du Parti de Gauche, a écrit un pamphlet intitulé « Le hareng de Bismarck ». Il est dirigé contre la suprématie allemande en Europe et la reprise par le Président français François Hollande et Manuel Valls, le chef du gouvernement, de la politique de « l'Agenda 2010 » de Gerhard Schröder. Comme cette « politique réformatrice » de Schröder n'était pas un produit de la social-démocratie mais consistait en la reprise du programme du patronat allemand par un Chancelier social-démocrate, la polémique que lance Mélenchon vise dans les faits à dénoncer la mise en place, en France, de ce programme du patronat allemand.
Son exposé est convaincant. Ce programme ne marche qu'aux dépends des autres et seulement si les autres pays européens ne l'adoptent pas non plus. Cela est si simple et si logique que l'on ne peut que se demander pourquoi la Chancelière allemande, son Ministre des Finances et son partenaire de coalition ne l'ont toujours pas compris. Tous les pays européens ne peuvent pas avoir des exportations excédentaires, c'est-à-dire produire plus que ce qu'ils consomment. Ou, encore plus simple : tous les pays ne peuvent pas détenir en même temps le record des exportations.
Pour illustrer ce qui s'est passé en France, Mélenchon raconte une visite de François Hollande à Angela Merkel en mai 2014. Le Président français reçut en présent à Stralsund un petit tonneau de harengs de Bismarck. Du reste, leSpiegel avait noté l'impair : « François Hollande pourrait tout à fait comprendre ce tonneau comme une mesquinerie de la part d'Angela Merkel. Le Chancelier prussien, qui laissa son nom en 1871 à un poissonnier du coin pour ses poissons confits, était un ennemi terrible des Français ». Porté par une fièvre toute nationale le Spiegel poursuit : « Comme aux temps de Bismarck, la France lutte contre son infériorité face à son voisin de l'Est… Et comme à l'époque, c'est un Chancelier surnommé “d'airain” qui gouverne à Berlin ».
Pour Mélenchon, Bismarck a agressé la France. Après la victoire, il fit couronner l'Empereur allemand dans la galerie des glaces de Versailles. Jusqu'à aujourd'hui, les Français n'ont pas oublié cette humiliation. Le fondateur du Parti de Gauche nomme ce hareng de Bismarck un « message sicilien ». Quand la mafia envoyait à quelqu'un un poisson cela signifiait qu'une personne avait été « envoyée chez les poissons », c'est-à-dire tuée.
Selon Mélenchon, ce sont la démocratie européenne et les valeurs fondamentales de la Révolution française, Liberté, Égalité, Fraternité qui ont été envoyés chez les poissons par la suprématie allemande.
Merkel n'a certainement pas voulu envoyer un message sicilien. Elle n'est pas si méchante ni si sournoise. Mais le fait qu'elle ait offert le même présent au Président français qu'à George W. Bush et Vladimir Poutine montre en réalité à quel point la politique et la culture françaises lui sont encore étrangères.
Lorsque Mitterrand, Thatcher et Andreotti s'opposaient à la réunification allemande c'était la suprématie de la grande Allemagne qu'ils visaient, une suprématie qui, selon eux, mettrait en danger le processus d'unité en Europe.
George Bush, le Président américain, n'avait lui rien à y redire. Au contraire, il exigeait de l'Allemagne un « partnership in leadership ». Il prônait ainsi une domination allemande en Europe, bien en accord avec la stratégie mondiale américaine.
Tant que les Allemands joueront aux vassaux de la puissance mondiale des États-Unis – il suffit ici de penser au comportement de Merkel dans le scandale de la NSA – la mise en garde de Mélenchon : « l'impérialisme allemand est de retour » ne menacera pas la seule puissance mondiale restante.
Le pamphlet de Mélenchon ne peut pas être expédié comme une critique exagérée du gouvernement allemand par un homme de gauche français. Dans la nécrologie en hommage à son collègue Ulrich Beck, le sociologue anglais Anthony Giddens écrivait : « Thomas Mann avait conclu, comme on le sait suite aux deux guerres mondiales, qu'il fallait que l'intégration européenne débouche sur une Allemagne européenne, en aucun cas sur une Europe allemande. Mais la crise de l'euro a précisément produit cette Europe allemande. Angela Merkel est de facto la Présidente de l'UE. On ne peut, pour ainsi dire, rien faire passer contre elle, la République fédérale définit les règles pour le reste de l'Union. Mais comme l'hégémonie de l'Allemagne n'a pas de légitimité immédiate, Merkel tente de la dissimuler. Elle est devenue, comme l'avance Beck, une “Merkiavel” qui cache habilement son influence de dominante – ce qui débouche finalement sur de la tromperie. Elle prétend mener le sauvetage de l'Europe mais seule est autorisée la politique passée au prisme de la pensée économique allemande.
« Nous sommes bien loin de la stabilisation de l'euro, ne serait-ce que parce que l'Allemagne n'autorise pas la condition nécessaire à cela, à savoir une intégration fiscale et économique plus grande de l'Eurozone. Au lieu de cela, on impose aux pays du Sud une politique d'austérité sans même préserver un semblant d'approbation démocratique. Le résultat en est que le centre politique s'effondre dans ces pays encore plus vite que dans d'autres.
« C'est pourquoi Beck appelait de ses vœux un nouveau contrat social pour l'Europe. Ce qui signifie en dernière instance une révolte contre la domination allemande. La politique économique devrait miser plus fortement sur des investissements, la protection sociale devrait être étendue en Europe. Les pays plus riches devraient s'engager pour ceux qui souffrent de la crise. »
Si l'on confronte les analyses de ces deux célèbres sociologues avec la phrase de Merkel : « Si l'euro meurt c'est l'Europe qui meurt », alors on voit bien toute l'ampleur de l'échec de sa politique européenne. En effet, nous sommes bien loin de la stabilisation de l'euro. Mélenchon n'oublie pas de noter combien entre-temps les Allemands se montrent arrogants en Europe. Lorsqu'on disait au moment de l'introduction de l'euro : « L'euro parle allemand », on entendait peut-être encore rassurer les citoyens allemands se souciant de la stabilité monétaire. Déjà, à l'époque, les autres pays européens n'aimaient pas cette musique. Mais lorsque Volker Kauder, président du groupe parlementaire de la CDU/CSU au Parlement allemand, dit au Congrès de la CDU à Leipzig, dix ans plus tard : « maintenant voilà qu'en Europe on parle allemand », on pouvait alors tâter à nouveau de la vieille folie des grandeurs allemande. En avril dernier, dans une réunion à Washington, Wolfgang Schäuble fustigeait le manque de volonté de réforme de l'Assemblée nationale française et disait : « la France pourrait s'estimer heureuse si quelqu'un contraignait le Parlement, mais c'est difficile, c'est comme ça la démocratie ». Le Premier Secrétaire du Parti socialiste Jean-Christophe Cambadélis reprocha au ministre allemand des Finances une « francophobie intolérable, inacceptable et contre-productive ». Le ton de l'indignation du chef de file des socialistes n'est guère différent de celui de Mélenchon : « l'Allemagne est à nouveau un danger. Le modèle qu'elle impose aux États européens est un recul pour notre civilisation ».
Il n'oublie pas de souligner que le modèle économique allemand des néo-libéraux est loin d'être aussi couronné de succès que ses propagandistes veulent nous le faire croire. Si l'on compte sur plusieurs années, la croissance française est supérieure à la croissance allemande. Cela vaut aussi pour les gains de productivité. Les plaintes de Merkel quant aux longues vacances et aux retraites précoces des Européens du Sud se heurtent à une fin de non-recevoir dénuée de toute compréhension. Mélenchon fait ainsi remarquer d'un ton railleur que ces « fainéants » de Grecs, d'Espagnols et de Portugais ont moins de vacances que ces travailleurs d'Allemands et qu'Espagnols et Portugais partent plus tard en retraite.
L'Allemagne a, nous dit notre combatif député européen, le moins de naissances et la part de la population âgée la plus haute en Europe. Et c'est ce modèle que la France devrait suivre ?
Dans la pollution de l'air et dans la production de déchets l'Allemagne est aussi en tête et empêche, sur ordre de l'industrie automobile, des niveaux d'émission de gaz d'échappement plus bas et, sur ordre de l'industrie chimique, des directives écologiques au niveau européen.
Il va de soi que Jean-Luc Mélenchon en veut particulièrement à la politique sociale allemande. Il souhaiterait éviter à tout prix en France des baisses de salaires et de retraites suivant le modèle allemand. La précarisation du travail avec des bas salaires, des contrats de travail à durée déterminée, des contrats à la pièce, du travail intérimaire et des mini-jobs ne peut servir de modèle à Paris. En France, le marché du travail n'est pas encore, et de loin, aussi bousillé qu'en Allemagne. Cela fait longtemps qu'il y a là-bas un salaire minimum, supérieur à celui du voisin de l'Est.
On peut reconnaître l'avancée de la soumission au paradigme néo-libéral en Allemagne à la réponse donnée à un sondage pour le Handelsblatt où la majorité des managers allemands exigeait un salaire minimum supérieur à ce que réclamaient la DGB et les sociaux-démocrates.
Mélenchon, pour appuyer sa critique, s'en réfère à Arnaud Montebourg, Ministre socialiste démissionnaire. En 2011, celui-ci déclarait : « Madame Merkel est elle-même en train de tuer l'euro… et c'est sur notre ruine que l'Allemagne veut faire fortune… Le moment est venu maintenant d'assumer la confrontation politique face à l'Allemagne ». Le Président socialiste de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone, s'exprima de manière similaire. Bien qu'ils prétendent avoir à coeur de travailler en commun avec la France, Merkel et Schäuble ne se montrent guère impressionnés jusqu'à présent par tout ceci. Les sociaux-démocrates allemands eux non plus ne font rien pour mettre un terme à la politique austéritaire en Europe. Il est trop tentant de mettre à genoux Syriza et d'étouffer dans l'oeuf l'arrivée d'une concurrence à gauche – que l'on pense ici à Podemos en Espagne.
La discorde grandissante avec la France est dangereuse. Si la politique allemande, reportée sur le dos des voisins par du dumping social et salarial, porte Marine Le Pen au pouvoir, alors le progrès de l'unification européenne sera stoppé pour longtemps.
Die Linke aussi, seul parti à porter la voix d'une autre politique européenne au Parlement allemand, doit continuer le débat. Si Merkel et Schäuble, associés à Sigmar Gabriel, mettent à genoux Syriza ce ne sera pas seulement un lourd recul pour la démocratie européenne et l'État social européen, mais aussi pour toute la gauche politique en Europe.
Confrontés au blocage néo-libéral, Tsipras et Varoufakis cherchent une issue. Ils ont invité à Athènes l'ancien économiste en chef de la Deutsche Bank, Thomas Mayer. En 2012, il avait fait la proposition d'une monnaie parallèle à l'euro, un euro grec ou Geuro. Il y avait là l'idée que la Grèce ne peut pas s'en sortir économiquement avec un euro fort ni ne peut s'endetter à nouveau parce qu'elle n'a pas le droit d'imprimer des euros. Le bloc néo-libéral européen auquel Mélenchon joint aussi les partis sociaux-démocrates et socialistes au pouvoir fait tout pour faire échouer la gauche en Grèce. Mais les grands airs des politiciens de l'austérité ne trompent pas : le système monétaire actuel ne fonctionne pas. Leur politique a enfoncé toujours plus profond l'Europe dans la crise. Même si, comme moi, on ne pense pas que la proposition de l'ancien chef économiste de la Deutsche Bank, Thomas Mayer, soit suffisante, personne ne peut en définitive passer outre le débat sur un nouvel ordre monétaire européen. La compétitivité tant vantée des diverses économies nationales ne peut pas constamment être produite sur des baisses de salaires et de retraites et sur la destruction des conventions collectives et des protections du droit du travail. Je me demande pourquoi le gouvernement grec a encore besoin des crédits qui n'ont été introduits que pour sauver les banques. La plus grande flexibilité qui s'impose dans le système monétaire européen et qui laissera à nouveau la possibilité de dévaluer a besoin, comme cadre et comme partenaire coopérant, de la Banque Centrale Européenne. En clair : la BCE peut sans problème diriger le cours de monnaies nationales, par exemple le cours du Geuro. On régulerait la dévaluation devenue nécessaire et on éviterait ainsi la chute tant crainte d'une monnaie faible. Bien entendu, comme l'a montré l'exemple de Chypre, des mesures de contrôle des capitaux sont inévitables. Dans la question monétaire, Mélenchon renvoie à la discussion déclenchée il y a quelques temps par l'Allemagne à propos d'un euro du Sud, sans se positionner clairement. Die Linke ne devrait pas se soustraire à une telle discussion en renvoyant comme jusqu'à présent aux exportations allemandes. Le nationalisme de l'exportation sur le dos des voisins ne peut trouver l'assentiment d'un parti de gauche. Les questions monétaires sont connues pour être difficiles et aussi bien dans le cas de l'union monétaire lors de la réunification que lors de l'introduction de l'euro, les responsables ne se sont pas couverts de gloire. Indépendamment des différents modèles mis en discussion une chose devrait être claire : l'euro ne devrait pas parler allemand mais européen.
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