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mercredi 26 février 2014

Grand Paris : la métropole des illusions

Article de Pierre Pommellet paru dans La Tribune du 17/02/2014.
Entre les impératifs de construction de logement et la nécessaire réorganisation de l'administration territoriale, les objectifs que se fixent les défenseurs du Grand Paris semblent un peu (trop) ambitieux pour être réalisables...

Le 13 décembre 2013, l'assemblée nationale adoptait le projet de loi portant création de la métropole du Grand Paris. Nombreux furent les commentateurs qui saluèrent cette création qui allait faire de la capitale augmentée des 4,3 millions d'habitants de la petite couronne (Hauts-de-Seine,Seine-Saint-Denis,Val-de-Marne) le pole majeur d'attractivité au niveau européen et international.
Il s'agit en réalité d'une idée ancienne puisque le baron Haussmann envisageait déjà en 1860 de dépasser la ligne des fortifications- devenue le périphérique- et d'annexer à Paris les 29 communes limitrophes. Un siècle et demi plus tard, ce périmètre a malheureusement perdu toute pertinence au regard de l'aménagement.


Les transports, principal levier du Grand Paris
Celui-ci se joue, comme chacun le sait, sur trois leviers qui sont  l'urbanisme et l'habitat, le développement économique et surtout les transports dont la dimension dépasse largement l'agglomération centrale.
Cependant, ces derniers ont fait de tels progrès avec notamment les TGV, les RER et les autoroutes urbaines, que  « les univers de choix » ont été élargis de façon si considérable qu'ils dépassent les frontières de l'Ile-de-France pour aller vers l'Oise, le Loiret ou l'Eure. Le projet du Grand Paris de 2009 s'étendait d'ailleurs en grande couronne et c'est bien entendu le conseil régional qui continuera de gérer le syndicat des transports (STIF) avec l'ensemble de ses partenaires départementaux.
S'adapter à la mondialisation
Il en est de même pour le développement économique qui est, d'après les lois de décentralisation, du ressort du conseil régional ce qui apparaît judicieux car il est indispensable de pouvoir proposer aux investisseurs une riche palette de territoires allant du plus dense comme Paris ou la Défense jusqu'aux grands espaces nécessaires à la logistique.
La chambre de commerce et d'industrie de Paris, en s'élargissant à l'ensemble de la région capitale, a compris depuis longtemps le grand changement de dimension qu'entraîne la mondialisation. Pour un industriel chinois qui recherche la  localisation optimale au niveau européen la métropole parisienne s'étend même jusqu'à Lille ou jusqu'au Havre !
Dans l'avenir, la géographie de l'aménagement du territoire se concevra  au niveau de l'ensemble du bassin parisien et non d'un « Grand Paris » restreint datant du 19eme siècle… !

Créer plus de logements
La seule réelle justification de la création de la métropole, explicite au cours des débats, est la faible construction actuelle de logements, bien insuffisante pour réduire la lancinante crise de l'habitat dans l'agglomération.  La métropole sera en mesure, suppose-t-on, d'imposer à des maires malthusiens des documents d'urbanisme les contraignant à accepter sur leur territoire un fort contingent de logement, en particulier de logements sociaux.
Il s'agit d'une illusion, pour deux raisons : l'une en raison de la difficulté de densifier l'urbain existant, et corrélativement le poids croissant de la construction périurbaine, l'autre de nature institutionnelle : la métropole est encadrée par le schéma directeur de la région ( SDRIF) qui a force de loi d'aménagement  et n'a pas la compétence pour délivrer les permis de construire pouvoir qui appartiendra toujours aux communes donc aux maires.

Construire la ville sur la ville ?
La pensée urbanistique actuelle, explicite dans le SDRIF, s'efforce de limiter les extensions périurbaines dans l'espoir que par un effet de vase communiquant la construction se reporte sur les espaces déjà bâtis; le modèle indépassable étant le Paris Haussmannien alliant forte densité et rare qualité de vie. Bien entendu il est judicieux de combler les « dents creuses » et d'utiliser les terrains sous occupés surtout en petite couronne ou la densité moyenne est le tiers de celle de Paris.
La contradiction apparaît lorsque l'on se fixe comme objectif de créer 35.000 logements annuels pendant plus de quinze ans pour loger la moitié des 13 millions de franciliens attendus à l'horizon 2030. Il s'agit donc d'augmenter de plus de moitié le rythme actuel de construction alors qu'on observe depuis 20 ans une baisse tendancielle. Cette chute semble même en train de s'accélérer puisque les permis de construire délivrés en 2013 diminuent de 30% dans l'agglomération par rapport à 2012.
La mauvaise volonté des élus n'est pas en cause mais plutôt la rareté progressive des terrains à bâtir, facteur de hausse du coût du foncier. Les grandes friches industrielles qui ont générés des centaines de milliers de logements depuis 30 ans sont en voie d'épuisement dans les Hauts-de-Seine et bien entamées en Seine-Saint-Denis. Et la densification des zones pavillonnaires, type d'habitat très apprécié des franciliens, se heurtera à de grandes difficultés. Quant à la dévolution des 900 terrains publics annoncés en 2012 ils semblent s'être définitivement évaporés !
Il est donc peu vraisemblable que la densification de la petite couronne qui est d'après l'OCDE de 11623 habitants au km2 augmentera très sensiblement. D'autant que les nouveaux éco quartiers, forme moderne de l'urbanisme contemporain, ont en général une densité souvent moitié moindre qui semble correspondre à une norme optimale pour le citadin européen.

Substituer la métropole aux intercommunalités
Il est certain que la balkanisation institutionnelle de la métropole francilienne est un sérieux handicap et qu'une clarification et une refonte de la politique du logement parait nécessaire. Mais il est vain de croire que la « territorialisation de l'offre de logement » entreprise par l'Etat, avec fixation d'un quota de construction par bassin façon Gosplan et la signature de contrats de développements territoriaux (CDT), vont permettre à la métropole de doubler la production de logements en se substituant aux intercommunalité dissoutes.
 Il est à craindre, au contraire, que la période intermédiaire qui va s'ouvrir entre la fin des intercommunalités - dont certaines comme Plaine commune ou Grand Paris Seine Ouest développaient une vraie dynamique territoriale -, et le début opérationnel de la métropole - lequel risque de se faire attendre (élaboration du programme local de l'habitat, statut du personnel fort disparate issu des intercommunalités…) - perturbera gravement la construction de logements en générant une incertitude peu propice aux nouveaux projets des promoteurs publics et privés.
Enfin, comment les engagements pris par les communes dans les contrats territoriaux seront-ils tenus s'ils n'ont plus le pouvoir d'urbanisme ?

Une autorité organisatrice du logement
 Une solution plus (trop?) simple et beaucoup moins coûteuse ne consisterait-elle pas à créer un syndicat mixte du logement en Ile-de-France, analogue au syndicat des transports (STIF) ? Présidé par le Président du conseil régional et réunissant les principaux partenaires concernés par l'habitat, il recevrait la délégation de financement du logement social de la part de l'Etat et agirait par la voie contractuelle pour inciter par un fond d'action logement les maires bâtisseurs et dialoguer avec les intercommunalités afin d'établir les programmes locaux de l'habitat. Il est possible qu'après l'échec vraisemblable du dispositif qui va rentrer en vigueur, un tel outil voit le jour lorsque la métropole deviendra inéluctablement régionale.
 En agissant sur un territoire non pertinent au regard de la nouvelle donne de la mondialisation où les métropoles dépassent souvent 10 millions d'habitants, doté d'outils d'aménagement peu adaptés à la conduite d'une politique d'habitat efficace, le Grand Paris Métropole dans sa forme actuelle constitue une structure administrative archaïque qui devra dans l'avenir modifier son périmètre et sa gouvernance, faute de quoi elle deviendra, au regard des espoirs qu'elle a suscité, la « métropole des illusions ».

Pierre Pommellet, ancien Directeur des services de la Région Ile-de-France


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