INTERVIEW parue dans le JDD - Jean-Luc Mélenchon défend la nécessité d'une VIe République dans un livre à paraître lundi. Le député européen est convaincu que son combat s’imposera en 2017.
Jean-Luc Mélenchon, jeudi, dans son bureau au siège du Parti de gauche, à Paris. (Olivier Coret pour le JDD) |
C'est une idée qu'il défend depuis plus de vingt ans mais qui, à ses yeux, devient urgente sous le quinquennat de François Hollande. Jean-Luc Mélenchon donne le mode d'emploi de la VIe République dans son livre L'Ère du peuple, qui paraît demain chez Fayard.
En lisant votre livre, on a l'impression que, pour vous, la gauche n'existe plus…
Pour moi : non. Mais pour des millions de gens : oui. Quand ils voient la politique de Hollande et Valls ils disent : "La gauche et la droite, c'est pareil." Ils ont raison. Voilà le pire : Hollande a perverti les mots qui servaient à nommer les choses. Dès lors, à un peuple explosé par le chômage et la précarité il ne suffit pas de proposer de "se rassembler avec la gauche". Moi, je ne veux pas me rassembler avec Valls et Hollande. Il faut fédérer le peuple sur des objectifs communs. Personne ne croit plus ce qui est marqué sur l'étiquette. On doit faire la preuve qu'on sert l'intérêt général humain.
«Une VIe République, c'est le moyen de réorganiser notre démocratie.»
Qu'est-ce qui peut rassembler le peuple français?
Une idée fondamentale : il doit être le maître dans son pays. Il doit arracher le pouvoir que l'oligarchie financière, la Commission européenne et le monarque présidentiel ont progressivement confisqué. Il y a urgence car ce système nous conduit à une catastrophe écologique et sociale et à la guerre généralisée sans que les citoyens ne puissent jamais dire leur mot. Convoquer une Assemblée constituante pour fonder une VIe République, c'est le moyen de réorganiser pacifiquement notre démocratie. C'est le moment de fixer les droits écologiques, sociaux et démocratiques dont nous avons besoin à notre époque.
Quelle est la méthode?
La méthode pour changer de république détermine son contenu futur. Ce n'est pas à un comité d'experts mais au peuple lui-même de rédiger cette nouvelle Constitution. Je recommande donc de convoquer une Assemblée constituante dont les députés seraient élus ou tirés au sort. Je propose que les constituants ne soient pas issus d'une Assemblée actuelle et qu'après avoir fait la Constitution, ils ne soient pas éligibles ensuite comme députés. Ce serait là une profonde régénération de la sphère politique! Toutes les grandes questions seraient mises en débat. Voici des exemples pour lancer la discussion. Je suis partisan d'un régime parlementaire très stable : on ne peut démettre un gouvernement que si on peut le remplacer par un autre. Dans ce système, le président aurait des fonctions de représentation et d'incarnation de la patrie mais tout le pouvoir serait dans les Assemblées. Je suis également pour le vote obligatoire. Et pour inscrire dans la Constitution les nouveaux impératifs de l'humanité comme la "règle verte", c'est-à-dire l'interdiction de prendre à la nature plus que ce qu'elle peut reconstituer. Mais tout cela, c'est aux constituants de le trancher.
«Avoir peur de Le Pen c'est déjà lui donner le pouvoir.»
Comment fonctionnerait votre référendum révocatoire?
Nous avons besoin d'institutions stables. Pour autant, il ne faut pas que le peuple soit privé de sa capacité d'intervenir à tout moment. C'est ce que permet le référendum révocatoire. Il existe déjà dans certains États aux USA et dans des pays d'Amérique latine. Dès qu'un certain pourcentage des électeurs le demande, un référendum est organisé pour savoir si tel ou tel élu continue ou non son mandat. Hollande lui-même a évoqué l'idée pour le seul président de la République. C'était en 2006 dans son livre Devoir de vérité. Il a oublié? Alors d'une certaine façon les prochaines cantonales seront un référendum révocatoire.
Mais François Hollande resterait président même s'il perdait ces élections…
En principe : oui. Notre nouvelle république n'est pas encore en place…
Ce processus constituant ne risque-t-il pas d'ouvrir grand les portes au FN?
Et alors? Avoir peur de Le Pen c'est déjà lui donner le pouvoir. Le danger est déjà là. Autrefois, Le Pen père était pour une VIe République. La fille, elle, dit "faisons bien fonctionner la Ve". Elle a bien compris quel pouvoir incroyable elle peut tirer du régime actuel. Cela fait froid dans le dos. Il faut y faire face avec les méthodes de la démocratie. Dans cette Assemblée, il y aura des députés de tous bords. Le peuple républicain sera le plus fort. Je crois à la démocratie.
Vous pensez vraiment que cela va se finir entre le FN et vous…
L'UMP et le PS sont convertis au libéralisme pur jus. Ils font la même politique. Mais le pays la rejette profondément. Il élimine donc à chaque élection ceux qui font cette politique parce qu'elle aggrave sans cesse les problèmes concrets de la vie des gens. Dès lors, tout le champ politique traditionnel vole en éclats. Il restera donc un choix : le FN pour qui la cause des problèmes ce sont les immigrés et les musulmans, et nous pour qui le problème c'est le pouvoir abusif de la finance. Entre les deux? Seulement des politiciens soumis au modèle Merkel. Ils aimeraient que tout s'arrange tout seul.
«En France, on voit bien que Hollande et Valls tiennent par un fil.»
Dans votre schéma, les gens doivent attendre 2017?
Il y a bien des luttes de résistance à mener. Mais nous n'allons pas faire un coup de force institutionnel! Le mouvement pour la VIe République a pour objectif de rendre cette idée majoritaire d'ici à 2017. Mais l'Histoire peut s'accélérer. Des gouvernements qui se croyaient très stables sont tombés en un jour pour un événement mineur et fortuit. En France, on voit bien que Hollande et Valls tiennent par un fil.
Ce mouvement se veut celui du peuple et il est impulsé par vous, c'est contradictoire?
C'est toute ma difficulté. Il faut bien que quelqu'un avec une notoriété suffisante lance ce mouvement. Je fais la locomotive avec 50 personnalités. J'aspire à ce que nous atteignons les 100.000 signatures. Après quoi ce mouvement s'auto-organisera.
Vous dites que la VIe République sera votre candidate à la présidentielle. Il y aura donc en 2017 un bulletin avec un nom?
Il faudra bien. Mais j'ai reçu de la vie quelques leçons qui m'interdisent de faire dorénavant des pronostics trois ans à l'avance. Ce sont les circonstances qui font le choix du nom.
«La direction principale, c’est bien d’arriver à travailler avec les écologistes.»
Quand vous parlez d’éco-socialisme, de VI République, quand vous prenez l’exemple de la municipalité de Grenoble, cela n’induit-il pas que l’allié naturel est EELV plutôt que le PCF?
L’écologie politique n’est pas une option mais une obligation. Le changement climatique a commencé. Pour moi, la direction principale, c’est bien d’arriver à travailler avec les écologistes, ce qui ne veut pas forcément dire avec le bureau politique d’Europe-Ecologie Les Verts qui hésite entre l’alliance avec le PS et l’UDI ou nous...
Et le PCF?
Le PCF est co-fondateur avec nous du Front de gauche. Certes il y a eu beaucoup de vaisselle cassée aux municipales. Mais il faut tourner la page. Car le Front de gauche est la seule alternative progressiste aux néo libéraux du PS ou de L’UMP. Nous avons une responsabilité devant l’histoire. Sur le reste, vous vous trompez. Le clivage ne se situe pas là. Le clivage est entre le Front de gauche et le PS actuel. Le projet anticapitaliste ne peut pas être productiviste. L’état de la planète ne le permet pas. L’intuition fondamentale du communisme est qu’il y a des biens communs. La matrice de la pensée communiste est beaucoup plus proche de celle de l’écologie politique que ne l’est le logiciel du PS. Pour le PS d’avant il devait y avoir une croissance sans fin. Pour celui de Hollande c’est pire : il encourage à n’importe quoi n’importe comment.
Pour vous l’éco-socialisme est-il compatible avec l’économie de marché?
Pas toujours. Il y a des domaines pour lesquels il ne doit pas y avoir de marché : l’eau, l’air, le savoir ne doivent pas être des marchandises. La formule du PS "nous sommes pour l’économie de marché pas pour la société de marché" a montré qu’elle était illusoire. Quand vous avez une stricte économie de marché, la société est automatiquement dominée par les intérêts particuliers. Nous avons besoin d’une société gouvernée par l’intérêt général humain. Le modèle économique doit être soumis au but visé: parfois la propriété publique, parfois la propriété privée. Pour ma part, je trouverais absurde de nationaliser les coiffeurs. Par contre avoir privatisé les installations hydro-électriques est stupide et dangereux.