4e paquet ferroviaire :
Le Parlement valide l’ouverture du marché ferroviaire à la concurrence
par Patrick Le Hyaric, député européen Front de Gauche
Mercredi 26 février le Parlement
européen a adopté les cadres de ce que l’on appelle le 4ème paquet
ferroviaire. Cet ensemble de 6 textes de lois (3 directives et 3
règlements), marque une nouvelle tentative de la Commission pour casser
les entreprises publiques de transports de passagers par rail et pour
ouvrir totalement le marché ferroviaire à la concurrence.
Un rythme soutenu depuis plus dix ans pour l’ouverture
Depuis les premiers textes de 2001
cherchant à ouvrir d’abord le marché du fret en 2007, puis du transport
international de passagers en 2010, ce sont 3 séries de lois et une
refonte de tous ces textes qui ont été adoptés en un peu plus de dix
ans.
Ce rythme soutenu démontre deux choses:
l’obsession de la Commission à ouvrir le marché du transport sur rail
coûte que coûte et l’absence total d’évaluation des conséquences des
différentes libéralisations.
Les exemples sont pourtant nombreux – de
la chute du fret par rail en France, aux incidents dus à l’état
déplorable du service aux passagers au Royaume-Uni pour s’interroger sur
le bien-fondé de cette ouverture et sur ses conséquences pour le
service public du rail.
Un secteur bien particulier et vital pour les territoires
Le transport sur rail, au même titre que
les connexions énergétiques et routières constitue un des maillages
vitaux pour la vie des territoires et pour assurer la cohésion d’un
ensemble de territoires. Des dessertes régulières et un service de
qualité représentent donc un enjeu majeur. C’est ce service, que la
Commission s’évertue à ouvrir à la concurrence, qui doit selon moi
rester dans le domaine public.
Mais le rail n’est pas la route, il
s’accompagne d’une organisation du trafic méticuleuse, d’une
planification qui prend en compte les besoins de transports, les
roulements et l’utilisation des trains, mais aussi leur entretien.
La logique de la Commission
La Commission veut considérer le
transport ferroviaire comme n’importe quelle autre industrie de
« réseau » (énergie, télécommunication, poste). Pour ouvrir le marché,
elle s’est donc évertuée à ménager dans les différents espaces
ferroviaires nationaux des créneaux pour de nouvelles sociétés de
transport aux dépens des organisations et des modèles de gestion en
place.
Ce fut d’abord l’accès au réseau pour le fret.
Les planificateurs nationaux devaient
permettre à des trains de fret d’autres compagnies d’utiliser leur
réseau. Il fallait donc ménager des créneaux de roulements pour d’autres
sociétés que la SNCF en France.
Afin de s’assurer que l’ouverture soit
réelle et que l’opérateur historique, la SNCF, ne bénéficie pas d’accès
privilégiés aux créneaux de roulements, la Commission a alors imposé que
la SNCF se sépare de son réseau. C’est ainsi qu’est né RFF (Réseau
Ferré de France). C’est une situation ubuesque puisque le réseau
appartient à RFF mais ce sont des agents de la SNCF qui en font
l’entretien en échange d’un paiement de RFF qui touche justement des
redevances de… la SNCF.
En novembre 2011, on pousse la logique
jusqu’au bout. Avec les voix de la droite et du PS on profitait de la
refonte des différents paquets ferroviaires pour imposer une
indépendance totale du réseau et on forçait la SNCF à donner l’accès de
ses centres de réparations (payés avec nos impôts et le prix des billets
de train) à ses concurrents.
Ce mépris absolu de toute une
organisation technique, des schémas de cadencement développés par la
SNCF, des décennies d’organisation du réseau et d’accumulations de
savoir-faire industriels, de toutes les synergies développées au sein
d’une entreprise intégrée comme l’est la SNCF – pour ouvrir le marché à
la concurrence – démontrent une croyance quasi mystique aux vertus de la
concurrence qui a connu un nouveau souffle, mercredi au Parlement
européen.
Le 4ème Paquet ferroviaire
Les textes adoptés avec le soutien de
l’UMP et du PS et malgré l’opposition du Front de Gauche de mon groupe
de la Gauche Unitaire Européenne et des Verts, sont divisés en trois
volets:
- Un volet dit « gouvernance » Il pousse encore plus loin l’indépendance du réseau ferroviaire. Encore une fois les plus libéraux auront tout fait pour obtenir une séparation complète aussi appelée « séparation institutionnelle » (avec des compagnies séparées au niveau du patrimoine)
Le compromis part sur une séparation
organisationnelle (avec la création d’une holding qui rassemble par
exemple réseau et service), mais qui entrainera toute une suite de
mesures pour s’assurer que la séparation est bien effective: séparation
des organes de décisions, des flux-financiers, des systèmes
informatiques, et même des périodes de transition dans les transferts
de personnels. Autant de choses qui compliquent toujours plus
l’organisation du transport lorsque l’on part d’un système intégré comme
l’est la SNCF.
Il a été adopté par 412 voix contre 146
et 106 abstentions. Seul mon groupe et les Verts ont voté contre. Les
socialistes et l’UMP l’ont soutenu.
- Un volet « libéralisation ». Il est prévu la libéralisation du transport national de voyageur d’ici décembre 2019. A cette date, tous les nouveaux contrats, ou les renouvellements de ceux terminant à la fin de l’année 2022 suivront de nouvelles règles de passations de marché. Et pour s’assurer que le marché sera bien ouvert, on impose la présence obligatoire d’au moins 3 opérateurs concurrents dans un pays comme la France.
Il est adopté avec la même configuration
que le volet gouvernance (PS et UMP pour, Front de Gauche de mon
groupe GUE/NGL et Verts contre) : par 386 voix contre 206 et 78
abstentions. L’aile gauche des socialistes français a préféré ne pas
soutenir.
- Un volet « interopérabilité ». Sous couvert d’harmonisation des matériels roulants et des systèmes de sécurité, Il organise la concurrence en renforçant « l’interopérabilité » technique des matériels (locomotives, wagons), infrastructures, systèmes de sécurité.
Celle-ci se fait par un renforcement de
l’Agence ferroviaire européenne qui sortirait de son rôle de
recommandations pour émettre des autorisations de mises sur le marché
des matériels, de certification de sécurité pour les entreprises, de
surveillance des autorités nationales de sureté et supervision de la
conformité des règles nationales avec le cadre européen (cela figurait
déjà dans la refonte de 2012). L’idée est de permettre plus facilement à
un train homologué en Espagne ou en Allemagne de faire des dessertes
nationales en France.
Les 3 rapports de ce volet ont été
soutenus à une large majorité malgré l’opposition des députés du Front de
Gauche de mon groupe GUE/NGL.
Enfin ces textes sont accompagnés d’une
proposition de retrait d’un Règlement qui permettait aux États de
verser des compensations financières aux compagnies qui avaient des
obligations financières vis-à-vis de leurs anciens salariés (comme le
versement de préretraites, d’allocations familiales, de pensions
d’accident du travail et autres régimes spéciaux aux cheminots).
Il faut s’arrêter ici sur la logique de
ce règlement: des régimes professionnels comme celui des cheminots sont
considérés comme des exceptions qui handicapent la compétitivité des
entreprises comparées à celles qui ne l’appliquent pas. Donc on
subventionne pour recréer un équilibre. Il suffirait pourtant
d’appliquer les mêmes statuts à tous les cheminots quelle que soit leur
compagnie.
Mon vote
En conséquence, je me suis donc opposé à
l’ensemble de ces textes qui organisent la concurrence à tous les
niveaux d’exploitations du ferroviaire de manière intrusive et remettant
en cause le savoir-faire industriel de la SNCF pourtant reconnu et
développé par des décennies d’expérience.
Faire rentrer la concurrence à tout prix
dans un domaine aussi stratégique c’est remettre en cause les
conditions de travail des personnels, la qualité du service, les
financements croisés (financer les lignes peu rentables, les dessertes
locales, par les lignes les plus rentables, celles à grandes vitesses)
et surtout la notion même de service public.
Rappelons ce qu’est le service public
Depuis le début, la Commission demande
que la SNCF abandonne notre réseau ferroviaire, pourtant un des plus
développé et des plus sûr d’Europe, pour l’offrir à des concurrents qui
n’ont jamais participé à son élaboration, à son entretien ou à son
expansion. Les bénéfices qu’ils feront iront à leurs actionnaires, là où
la SNCF finançait le service public et la continuité territoriale.
Ouvrir le transport de passagers à la
concurrence, c’est remettre en cause tous ces financements croisés,
c’est jeter la SNCF et les cheminots dans une concurrence effrénée.
Ce sera moins de cheminots, plus de sous-traitants, plus d’intérimaires, pour toujours plus de travail et des salaires réduits.
C’est la sécurité et le service qui passent derrière le profit.
C’est surtout la remise en cause du service public et de tout un modèle industriel.
C’est non seulement irrespectueux pour
les efforts fournis par la SNCF, ses cheminots et ses ingénieurs pour
faire vivre ces infrastructures, et pour les citoyens qui les ont
financées, mais c’est surtout créer les conditions d’une désorganisation
et de l’insécurité.
- Le rail n’a pas besoin de davantage de concurrence, il a besoin d’investissements.
- La SNCF n’a pas besoin qu’on
vienne lui demander des créneaux dans ses infrastructures: elle a besoin
qu’on la laisse les utiliser au mieux avec un savoir-faire industriel
et managérial que beaucoup lui envient.
- Les cheminots n’ont pas
besoin d’être mis en concurrence avec des sous-traitants, d’autres
opérateurs, ou qu’on les surcharge de travail. Ils ont besoin d’être
plus impliqué dans les choix d’orientation en ce qui concerne la
gestion de leur entreprise.
- Les passagers n’ont pas
besoin de nouveaux opérateurs mal coordonnés, avec des billetteries
différentes, des cartes de fidélité ou d’abonnements différentes, et des
trains bondés. Ils ont besoin de trains réguliers, sûrs, cadencés, avec
un système de correspondances adapté à leurs besoins.
Seule une entreprise publique
libérée des règles de la concurrence et avec une vraie politique
d’investissement, à l’écoute des passagers et des cheminots peut faire
face aux enjeux actuels de déplacement, à un prix raisonnable, de la
sécurité pour toutes et tous et de l’environnement. Je continuerai donc à
m’opposer à cette libéralisation insensée.